Les Sept Pastels sont à la fois un sommet de l’impressionnisme musical et l’une des œuvres les plus ambitieuses jamais écrites pour l’orgue : la richesse de la registration, la somptuosité d’harmonies richement chromatiques, l’entrelacs d’arabesques décoratives brodent une tapisserie si opulente, exacte contrepartie sonore de L’Art Nouveau cher aux tenants de la sécession viennoise, qu’elle réclame l’orchestre pour lui rendre pleine justice. Esprit du lac, Halo lunaire, Légende de la montagne, Chant du soleil au crépuscule, etc. : autant d’improvisations largement développées au spectacle des splendeurs de la Nature, avec une large adjonction de mysticisme visionnaire qui fait de Karg-Elert l’indiscutable « frère en arts » de Delius – une proximité encore renforcée par la suavité et la complexité d’harmonies se réfractant en un arc-en-ciel de nuances subtiles fondant sans effort chaque accord dans le suivant. Ces similitudes attestent de la popularité de Delius, lui-même d’origine allemande, en Allemagne avant 1914. Les Eaux couvertes de roseaux, véritable cœur expressif du recueil, font ainsi écho à Summer Night on the River, et l’on y perçoit l’appel d’oiseaux tristes plus deliens que nature... La rhétorique reprend ses droits avec le finale (Hymne aux Étoiles) dont le choral monte au firmament avec une ferveur toute franckiste.
Elke Völker, à l’opposé de la vision trop classique et curieusement terne de Hans Fagius chez Bis, prend un visible plaisir aux frissons sensuels qui agitent la partition, et elle sait nous les communiquer avec naturel et talent. Elle est secondée par la ronde opulence d’un orgue récemment restauré dans sa munificence originelle « Art nouveau », et par une prise autrement moins maigre que celle de l’éditeur suédois. Il est essentiel de prendre son temps dans cette musique de sybarite, afin de savourer en gourmet les délices sonores concoctés par l’un des plus excentriques musiciens de tous les temps. En cela, elle approche de la version de référence (hélas indisponible en CD), celle du docteur Josef Bücher aux orgues de la cathédrale de Lucerne (Psallitte, circa 1975), d’une splendeur insurpassée à ce jour. Ses qualités font merveille dans le Kaléidoscope op. 144, sonate pointilliste aux couleurs modales chatoyantes, et dans les extraordinaires variations sur une basse obstinée (et fameuse) de Georg Friedrich Haendel, dans lesquelles le compositeur souabe se pose en digne héritier (par Max Reger interposé) de la plus somptueuse tradition polyphonique du Cantor de Leizig. Ici, Michael Austin (Chandos) ou le docteur Stockmeier (CPO) restent cependant des références absolues.
Un must pour les sybarites, les gourmets et les gourmands qui n’ont pas honte de leur vice...
Enregistrement fidèle, précis et rendant compte des splendeurs d'un orgue post-romantique restauré en 2002.
Analyse des oeuvres pénétrante et érudite.
Note: 8 de Classica