Étrange situation que celle de Kerll, l'un des plus grands noms du XVIIe siècle : on trouve des pièces de lui dans de nombreux récitals, mais voici le premier CD à lui être réellement dédié, complété de Canzoni (moins audacieuses sur le plan du clavier mais non de l'écriture) de son maître Giovanni Valentini (1582-1649), organiste puis maître de chapelle de l'empereur à Vienne. En poste auprès des cours de Bruxelles. Vienne et Munich, Kerll, égal de Froberger en renommée, connut une fabuleuse carrière. Pédagogue prisé (il eut pour disciple Murschhauser, auquel Léon Berben a consacré en 2003 [chez Aeolus] un album magistral sur le König de Beilstein, 1738), il acheva sa formation à Rome avec Carissimi, devenant un lien puissant entre l'Italie, les possessions des Habsbourg et la Bavière.
Ce programme reflète la diversité de son œuvre : toccate (également sur tenues, façon Frescobaldi), canzoni, variations, préludes, versets, chaconnes, battaglie (la pièce dite Scaramuza, étonnant jeu de type question-réponse, débute aussi telle une bataille), jusqu'à une étourdissante Passacaglia en ré mineur. Ductilité et inventivité, écriture savante mais extrême limpidité, richesse du discours sans redondance ni maniérisme : Kerll surprend et captive sans rechercher l'effet Léon Berben se montre à l'orgue de Niederehe aussi stimulant, spontané et convaincant qu'a Beilstein.
Michel Roubinet