Ce disque passionnant nous plonge dans un univers fantastique, témoin d’une époque révolue. La vie du baron Albert de l’Espée, richissime héritier de l’empire industriel des « de Wendel », sera parsemée d’acquisitions de résidences luxueuses, toutes nanties d’orgues de salon extraordinaires, commandés au grand facteur Aristide Cavaillé-Coll (une petite dizaine en tout quand même…). Le baron était lui-même un fin musicien et organiste de grand talent. Le comble de sa folie, copiant peut être Louis II de Bavière, sera de faire construire un château monumental sur la plage d’Ilbarritz (pays basque français) afin de recevoir un orgue monumental de quatre claviers et 72 jeux, le plus grand jamais réalisé pour un particulier. Plus tard cet orgue sera vendu à la basilique du Sacré-Cœur de Paris, où il se trouve encore aujourd’hui. Par la suite le baron fera reconstruire un nouvel orgue à Ilbarritz, placé ensuite à l’église d’Usurbil, au pays basque. C’est cet instrument quasiment intact que nous entendons ici. Albert de l’Espée était un fanatique de Wagner : on rapporte qu’il jouait les grandes pages de son idole, toutes fenêtres ouvertes les soirs de tempête : un vrai personnage de roman !
Il est vrai que la musique de Wagner s’accommode curieusement très bien de l’instrument à tuyaux, comme si la pâte orchestrale de ce compositeur s’y sentait à l’aise. Le côté symphonique marqué des Cavaillé-Coll y est pour beaucoup. La démonstration est concluante : les préludes des opéras célèbres font merveille, par des transcriptions qui modifient à peine les climats propres à ces pages. Douceur des fonds rappelant les cordes, crescendos maîtrisés jusqu’à l’entrée des jeux d’anches, timbres de cuivres chers à Wagner, nous amenant à un tutti rutilant. Ces pièces adaptées ici à l’orgue l’ont été par de grands musiciens comme Siegfried Karg-Elert, où l’américain Edwin Lemare.
Pour parfaire l’émotion, la soprano Suzanne Thorp, vient ponctuer ce discours où la voix ne saurait manquer, pour reconstituer l’essence Wagnérienne, au travers d’un cycle de cinq mélodies.
Belle démonstration de la musique d’un temps passé où le grand orgue présidait dans les salons, auprès des grands pianos à queue, pour paraphraser les grandes œuvres du répertoire : de Wagner à Liszt, grand transcripteur lui aussi, il n’y a qu’un pas, franchi ici de mains (et pieds) de maître par l’organiste allemand Christoph Kuhlmann qui signe un travail exemplaire, surtout dans le maniement même de ces orgues difficiles à jouer, et qui s’inscrit dans la collection des orgues symphoniques du Nord de l’Espagne que conduit l’éditeur Aeolus.