Diapason
Paul de Louit
Diapason-1699
Les héros de cet enregistrement sont des chœurs aux couleurs magnifiques, à la fois intimes et généreuses. Heureuses paroisses parisiennes, si vraiment elles connurent des formations de ce niveau, et un maître de chapelle comme Bernard Têtu !

Au firmament des maîtres de chapelle, l'organiste César Franck eut des rivaux doués. De son vivant, son frère Joseph - auquel on devrait bien, d'ailleurs, s'intéresser aussi. Ensuite, sa propre stature mythifiée, qui censura un répertoire réputé bassement utilitaire. Or, il suffira de ce volume pour convaincre que tout Franck est présent, dès les années 1850, dans l'humilité de ces « petites » pièces. Tout ? évidemment, pas le (trop) ambitieux fresquiste des Béatitudes ; mais bien le bâtisseur de formes : mélodies fermement ancrées, cellules génératrices, développements ficelés, harmonies riches... le tout creusé comme à la gouge, avec ces insistances d'artisan qui faisaient soupirer Gédalge comme des laborieusetés. Au surplus, un charme tendre auquel son « grand œuvre » est réticent ; et aussi, parce qu'on précède l'ère des grégorianismes austères et des préraphaélites blancheurs, une monumentalité pompeuse et cependant familière, jamais pompière, qui situe Quee est ista et Dextera Dominiau niveau des joyaux du répertoire anglican.

Diego Innocenzi, sur le célèbre instrument lyonnais (1880), donne aux pièces d'orgue une épaisseur qui les tourne vers les recueils de la maturité. Sûr de ses tempos, maître de son discours, lui-même a suffisamment mûri en quelques années pour oser désormais sans craindre la vulgarité, çà une pédale d'orage pour renforcer le dramatisme quasi narratif de l' Offertoire en sol mineur, là un toucher martelé pour galvaniser celui en fa dièse. S'il s'enlise davantage dans celui en si, c'est aussi que la musique n'a pas le même intérêt. Les couleurs instrumentales convoquées avec l'orgue (la harpe, le violoncelle et l'inévitable contrebasse) sont irréprochables, les solistes vocaux un peu trop dans le note-à-note ; mais les héros de cet enregistrement sont des chœurs aux couleurs magnifiques, à la fois intimes et généreuses. Heureuses paroisses parisiennes, si vraiment elles connurent des formations de ce niveau, et un maître de chapelle comme Bernard Têtu !

Paul de Louit