Diapason
Roger-Claude Travers
Diapason-march-2006-1708
Ose l'initié a su d'évidence déchiffrer le grimoire vénitien. Sa première moitié au moins.

« Veracini, rapporte la langue fourchue de Mattheson, avait l'esprit dérangé pour s'être adonné à la lecture des "écritures chimiques" (alchimiques). » L'excellent flûtiste à bec Karsten Erik Ose garde sur la question une saine réserve... tout en attribuant à chacune des six premières œuvres du recueil vénitien offert au prince de Saxe un signe zodiacal - d'origine sur le manuscrit ? -, laissant soupçonner pour l'ensemble des douze sonates un ordre supérieur, dont il ne nous livre pas la clé, sinon peut-être une idée du caractère de chaque pièce, qu'il a la savoureuse idée d'associer à une couleur de flûte spécifique et un accompagnement soigneusement choisi. Exemples : la belle Cranmore en ré d'après Denner pour la N° 1, avec son Largo poétique, oscillant entre rêve et mélancolie. Diction du texte éloquente, jamais gratuite, ornementation parfaite, temps de respiration intimement partagés avec le violoncelle, le clavier et l'archiluth. VAllegro final est entonné comme une danse paysanne lente, sorte de Lëndler généreusement chaloupé. Moment tendre, contrastant avec l'effronterie enfantine parcourant la N° 2, servie par une pimpante Si bémol d'après Bressan ou, pour la N° 3, une vieille dame très douce, avec de très jolies couleurs : une flûte anonyme anglaise du début du Set tecento. Discrétion, élégance et bon goût de mise dans la N° 4, avec une délicate Ehlert d'après Stanesby. Image un peu floue, fragile, avec des percées de couleurs dans la N° 5 jouée par une Ehlert d'après Bressan, Largo étrange, enfin, de la N° 6, avec les graves sombres, un peu mouillés, et les aigus agressifs de la Rohmer, terminant ce cycle, décliné comme un défilé de haute couture sophistiqué.

Karsten Erik Ose et Omamente 99 ne avalisent pas vraiment avec la charmante version de Christian Mendoze (cf. n° 532), ce Veracini est d'autre part. Ose l'initié a su d'évidence déchiffrer le grimoire vénitien. Sa première moitié au moins. Attendons avec curiosité : les Sonates no 7 à 12 : le reste du zodiaque.

Roger-Claude Travers